En disant que « le pire ennemi des démocraties est aujourd’hui le moralisme qui les envahit » Marcel Gauchet, à la faveur de son livre « Le nœud démocratique, aux origines de la crise néolibérale », pose d’emblée un constat provocateur. Le danger serait moins des idées populistes elles- mêmes que du réflexe de condamnation purement morale dont elles font l’objet. Autrement dit la tendance à se dire « vertueux » en rejetant d’un bloc ce qui apparaît comme « nauséabond » (Le populisme) serait un écueil majeur pour le fonctionnement de la démocratie. Dès lors, plutôt que de regarder en face ce que ces courants populistes expriment (colère sociale, sentiment de déclassement, défiance vis à vis des élites entre autres) on se surprend souvent à délégitimer de façon abstraite ou condescendante, ce qui peut avoir pour effet de renforcer le sentiment d’exclusion et d’incompréhension au sein des populations concernées.
D’un tel constat, il nous faut impérativement tirer des conséquences ainsi que des leçons pragmatiques et mener une vraie réflexion afin de proposer des pistes de solutions concrètes.
Pour cela, il nous faut clarifier les propos, analyser les effets de ce moralisme et dégager les conséquences pour la démocratie.
Les notions de Moralisme et de populisme.
Avant tout, qu’est-ce que réellement le moralisme ?
C’est une attitude portant Jugement sur les phénomènes politiques ou sociaux sous l’angle d’une supériorité ou d’une pureté morale. Il se fonde alors sur une vision manichéenne où nous avons d’une part les « bons », porteurs de valeurs universelles et d’autre part les « mauvais » qu’il condamne au nom de cette morale
Moraliser, c’est en fait se priver de toute réflexion pragmatique et de toute tentative de compréhension du réel et c’est aboutir à une forme de surenchère vertueuse, peu propice au débat.
Enfin, qu’est-il réellement dit lorsque l’on parle de POPULISME ?
Souvent décrié, le populisme est apprécié comme un style politique, mettant en avant une rhétorique de la proximité avec le « peuple » contre « l’élite ».
Dans ce cadre, sont regroupées diverses tendances : la gauche radicale, la droite souverainiste, les mouvements antisystèmes entre autres. Ces courants sont bien sûr hétérogènes mais ils partagent une défiance envers les institutions et les élites, une exaspération face aux inégalités, réclamant souvent des solutions simplistes et radicales.
En le rejetant dans son ensemble et en voulant faire œuvre de moralisme, on peut alors négliger les sources réelles du malaise, sentiment d’abandon, inégalités, déficit de représentation, entre autres.
Les effets pervers du moralisme sur la démocratie.
Moraliser systématiquement ne peut qu’être redoutable pour la démocratie, renforçant alors le populisme contestataire, appauvrissant le débat public et de fait faisant courir de sérieux risques à la représentativité.
En effet, à force de stigmatiser moralement les revendications populistes par des propos lourds de sens, « c’est indigne » ou « c’est nauséabond », les partisans de ces revendications sont enfermés dans une posture d’autojustification et de victimisation.
La discussion est alors réduite à un affrontement stérile sur la légitimité morale ; il n’y a plus de débat sur le fond (questions économiques, sociales, identitaires entre autres) mais uniquement des insultes mutuelles sur le plan éthique.
En condamnant sans nuances, les élites ou tout du moins les vertueux, prouvent leur refus d’entendre les vrais problèmes et renforcent la polarisation du débat. Aucune solution concrète n’est alors proposée et la classe politique perçue comme donneuse de leçons, perd en crédibilité, n’apportant pas de solutions concrètes. Les risques pour la représentativité sont dès lors importants. Une partie de la population se sent jugée et non entendue et s’éloigne alors des institutions démocratiques ; C’est là que l’abstention grandit, que la méfiance s’accumule et qu’apparaît la radicalisation.
tirer les conséquences.
Les idées populistes, même discutables, expriment souvent des inquiétudes légitimes comme les inégalités, les fractures territoriales, le sentiment d’impuissance face à la mondialisation.
Une approche strictement morale occulte l’analyse de ces facteurs contextuels. Il faut donc reconnaître la pluralité des causes et la légitimité partielle des chagrins portés par certains mouvements populistes, une façon de reconnaître la complexité des problèmes.
Se contenter d’une posture de supériorité morale est donc contre-productif, empêchant tout dialogue constructif et confortant le populisme dans son rôle de contre-pouvoir dénonçant les élites.
Il importe de prendre au sérieux les demandes sans pour autant valider la rhétorique simpliste ou xénophobe qui peut y être associée.
C’est là que la responsabilité politique doit se revaloriser. La politique ne peut se porter à condamner ; elle doit proposer et mettre en œuvre des politiques concrètes.
C’est la capacité à apporter des réponses tangibles aux problèmes soulevés par les citoyens en évitant le discours vertueux qui permettra de reconstruire la légitimité d’un parti ou d’un dirigeant.
bâtir une approche plus pragmatique
Quatre orientations devraient nous permettre de construire cette approche.
D’abord, instaurer un débat lucide et respectueux.
Il faut alors sortir de la logique binaire « Moralement acceptable/ moralement inacceptable » en favorisant une argumentation fondée sur des faits, des statistiques, des rapports d’experts ainsi que sur des témoignages d’acteurs du terrain et permettre aux revendications populistes d’être entendues, discutées, contredites si nécessaire, dans un cadre obligatoirement serein et transparent.
Ensuite, réinvestir le champ politique avec des solutions concrètes
Il faut apporter des réponses solides sur le plan économique et social, tant pour l’emploi, la sécurité, la santé, l’éducation ou encore la redistribution et dans le même temps mieux identifier les attentes spécifiques des différentes franges de la population, que ce soit pour les ruraux, les classes moyennes précarisées, les jeunes entre autres, afin d’éviter l’impression que les institutions sont déconnectées.
Puis, renforcer la participation citoyenne.
Il faut développer des mécanismes de consultation, de délibération et de participation directe par la création d’assemblées citoyennes, de budgets participatifs, des référendums d’initiative partagée, entre autres. Une façon de redonner une place réelle aux citoyens dans la prise de décision pour réduire la tentation populiste qui naît souvent d’un sentiment d’exclusion
Enfin, éduquer à la complexité et à l’esprit critique.
Il est alors essentiel que nous redoublions d’efforts en matière d’éducation civique, de culture du débat, de médiation numérique afin de lutter contre les simplifications outrancières et que les médias comme les institutions scolaires soient capables d’enseigner la nuance et l’analyse critique des discours politiques
Le moralisme est réducteur là où Le réalisme démocratique est très enrichissant.
L’affirmation selon laquelle « le pire ennemi des démocraties aujourd’hui est le moralisme qui les envahit » révèle une tension fondamentale au cœur des sociétés contemporaines : la tentation d’opposer une prétendue pureté morale aux mouvements populistes avancés comme infréquentables conduit trop souvent à ignorer la substance des revendications qui y surgissent.
Cette attitude ouvre la voie à un cercle vicieux : rejet moral, victimisation populiste, polarisation croissante.
Pour briser cette spirale, il est impératif de sortir du jugement moral unilatéral et de renouer avec le devoir d’écoute, de dialogue et de pragmatisme : comprendre les racines profondes des colères, confronter les discours à la réalité des faits, proposer des politiques publiques efficaces et adaptées, restaurer la confiance dans l’action politique.
Plutôt que de mépriser ou d’ignorer les protestations jugées nauséabondes, il s’agit de les décrypter d’identifier les problèmes réels qu’elles pointent et de leur apporter des réponses concrètes. C’est à ce prix seulement que la démocratie pourra pleinement assumer son rôle de régulation des conflits et de représentation d’une pluralité de voix.
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